Programme «Andronica»

À 16 ans, pas même encore sortie du secondaire, je préparais mes auditions dans les écoles de théâtre. Petite fille d’Arthabaska, il n’y avait pas grand choix à la bibliothèque quand on voulait lire des classiques pour préparer nos auditions. Si Molière et Racine provoquaient très peu d’émotions chez moi tellement leurs langues étaient alambiquées, j’adorais celle de Shakespeare où la nature était souvent invoquée pour faire image quand il y avait une émotion à véhiculer.

À cette époque, si tu étais une fille, tu jouais des rôles «de fille» et ces rôles, excepté chez quelques rares auteurs dont Shakespeare (et encore!), manquaient affreusement de substance dans la plupart des oeuvres classiques. J’ai donc littéralement dévoré la dramaturgie de Shakespeare pour trouver un personnage féminin avec du caractère et mon choix s’est arrêté sur Béatrice dans Beaucoup de bruit pour rien. Pendant mon ratissage complet de l’oeuvre du grand auteur, je me souviens avoir beaucoup ri en lisant la pièce Titus Andronicus en raison de la quantité effroyable d’hémoglobine que ça prenait pour le monter. En 1996, je «riais» parce que pour moi c’était une grosse farce grotesque… même s’il y avait la présence de ce personnage de Lavinia qui se faisait affreusement mutiler et agresser. Depuis, metoo est passé aux nouvelles, le mot «féminicide» a été répété 17 fois au Québec en une seule année en 2021, le couple se définit d’une multitude de façons et de jeunes femmes ont fait ce que d’autres femmes plus âgées ont fait avant elles, c’est-à-dire continuer à revendiquer une vraie place dans les sphères politiques, artistiques et économiques. Pour moi, il est devenu impossible en 2022 de monter Titus Andronicus autrement que comme une tragédie où il faut absolument jouer avec la distribution pour lui faire dire autre chose sur le pouvoir, la violence, la guerre, l’amour, la vengeance et, finalement, la transmission d’une génération à l’autre.

Je remercie du fond du cœur l’École de théâtre professionnel du Collège Lionel-Groulx de m’avoir invitée à travailler sur ce beau et grand défi d’adaptation et de mise en scène. Je vous remercie aussi, vous, finissants en interprétation, conception et production de m’avoir fait confiance et d’avoir plongé avec talent, fougue et générosité dans ce… tragique bain de sang.